Nicolas Olivier : Yannick, vous êtes consultant en performance industrielle et transformation digitale. Quelle est l’actualité de l’industrie ?
Yannick Feillens : Humainement, ces deux dernières années ont placé les managers et les équipes approvisionnement sous tension. La guerre en Ukraine va accentuer ces difficultés. Le COVID a révélé les faiblesses de certaines organisations et épuisé les équipes. Les entreprises corrigent le tir en renforçant leur organisation supply-chain tandis que les collaborateurs sont tentés d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Ceci crée un fort turn-over. Constatez-vous également cette tendance sur le marché ?
NO : Le marché est effectivement très dynamique sur les profils logistiques. Il est vrai que la crise a fait beaucoup de mal à certaines supply-chains trop fragiles, trop distantes, trop complexes.
YF : Ce discours sur la complexité des supply-chains me semble en perte de vitesse. Pour une raison simple : personne n’est prêt à payer le coût de se garantir contre un cygne noir. Aucun dirigeant, aucun actionnaire et, surtout, aucun client n’est prêt à en payer le prix. Et d’ailleurs, contre quel cygne noir se prémunir ? Qui aurait imaginé un confinement généralisé en 2020 et une guerre en Ukraine en 2022 ?
NO : Pourtant, le made in France a le vent en poupe…
YF : Un de mes clients résume la situation de la manière suivante : les acheteurs ont une envie de made in France mais n’ont pas les budgets pour le payer. Si des organisations relocalisent, les parts de production rapatriées restent le plus souvent marginales. Le débat sur la réindustrialisation occulte totalement les enjeux de performance industrielle et de productivité de notre tissus industriel. C’est très gênant pour l’avenir.
NO : Quelles conséquences pour la supply-chain ?
YF : Les équipes que je rencontre dans les PME et ETI industrielles sont le plus souvent exceptionnellement investies. Ce qui me frappe, c’est le décalage entre le dévouement à la production et la maturité industrielle des organisations, aussi bien dans les ateliers qu’au niveau de la supply-chain. Avant même la crise actuelle, la maturité supply-chain de la majorité des PME et ETI était insuffisante. L’outil central de la logistique, l’ERP, est aussi globalement mal maîtrisé.
NO : Alors, que faut-il faire ?
YF : Il faut bien comprendre que cette situation n’est pas une fatalité. Des méthodes rationnelles, applicables aux PME et ETI existent. À Ubiquitiz, nous les mettons en œuvre de manière pragmatique. Nous constatons qu’avec quelques actions ciblées, il est possible d’avoir des impacts significatifs.
NO : Pouvez-vous donner des exemples ?
YF : Les stocks, par exemple, sont le plus souvent surdimensionnés pour un résultat opérationnel médiocre. Les réduire d’un coup de rabot homogène n’est pas la solution. Cela résulte en général à des effets de balancier sur la valeur de stock. L’impact est préjudiciable aussi bien pour le client que pour la trésorerie de l’entreprise. Pourtant, des méthodes rationnelles et adaptées aux PME et ETI existent. Malheureusement, elles sont méconnues.
NO : Cela veut-il dire qu’une part de la crise actuelle était évitable par une meilleure gestion des stocks et process de la supply-chain ?
YF : Certaines ruptures étaient peut-être évitables. Le travail sur le PIC réalisé chez un de mes clients a permis d’alerter très tôt sur des risques majeurs de rupture d’approvisionnement. Mais il y a une part de cette crise qu’il était impossible d’anticiper : qui avait prévu le COVID ?
NO : Quelles conséquences d’un point de vue RH ?
YF : Cette crise est une opportunité pour rehausser le jeu. Elle crée une prise de conscience autour de la fonction approvisionnements. Je m’interroge d’ailleurs sur la manière de faire monter le niveau général de la supply dans les PME et ETI françaises. Je veux croire que mes confrères consultants et moi-même contribuons à cette « évangélisation ». Mais ce n’est pas suffisant. La formation continue et la formation initiale devront se transformer pour contribuer à cette évolution.
NO : Et du point de vue du recrutement ?
YF : La crise actuelle va permettre de recalibrer l’importance de la fonction, les salaires et donc les profils associés. Cela va jouer dans le bon sens car la supply-chain est un métier structurellement compliqué. Elle nécessite des profils très structurés et avec beaucoup de recul car c’est une fonction qui doit comprendre et négocier des compromis entre toutes les fonctions de l’entreprise.
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