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Richard Viot-Coster

Richard Viot-Coster est consultant en supply-chain et co-fondateur de SNEXT Solutions

Crise du COVID-19 : comment gérer l'incertitude ?

Une approche tactique comme antidote à l'incertitude et au risque de paralysie dans l'industrie et la distribution
Pour préparer une équipe à une rencontre de football, de rugby ou de tout autre sport collectif, nul besoin de prévoir le déroulement du match.  Le coach étudie l’adversaire et construit des schémas tactiques qui pourront être activés en fonction des événements. Il apprend également aux membres de l’équipe à se coordonner pour réagir à la succession de risques et opportunités qui vont se présenter.

Nous pensons que l’analogie de la situation actuelle avec la préparation à une rencontre sportive peut apporter un éclairage intéressant aux managers et dirigeants d’entreprise.

Dans le contexte actuel, il est, plus encore que d’ordinaire, difficile de prévoir la suite des événements sanitaires et économiques. Cette incertitude exceptionnelle doit être au centre des raisonnements.

Face à un tel constat, le risque est grand de rester figé en attendant que l’horizon se dégage suffisamment pour y voir clair. Une fois le coup d’envoi sifflé, les marges de manœuvre sont réduites et le temps manque pour échafauder une stratégie. De même dans cette crise, si la trésorerie s’épuise ou si la concurrence prend les devants, il sera trop tard pour modifier le cours des choses.

Le risque est grand de rester figé en attendant que l’horizon se dégage suffisamment pour y voir clair. Définir un plan de sortie de crise est donc un exercice indispensable pour restaurer la capacité d’action. Mais tout miser sur un plan rigide est un pari risqué. Nous recommandons au contraire d’anticiper les différentes évolutions possibles et de s’y préparer par un exercice de scénarisation. Pour autant, des scénarios imprévus peuvent toujours émerger. Les entreprises doivent donc rester agiles. Cette agilité, loin de toute incantation, se prépare tant au niveau des entreprises que de leurs partenaires, salariés, fournisseurs ou clients.

Dans cette tribune, nous décrivons une approche pour permettre aux entreprises qui le peuvent de se remettre en mouvement au plus vite, dès les mesures d’urgence mises en place.

Pour ce faire, nous proposons de mettre la santé et la confiance des salariés et des clients au cœur de la démarche. Une fois ce cadre posé, nous proposons de préparer les prochaines phases de jeu en s’appuyant sur l’élaboration de schémas tactiques d’une part, et sur un pilotage serré de l’entreprise basé sur une attention toute particulière à l’évolution des conditions de jeu.


1. Anticiper la sortie de crise par l’établissement de scénarios

Chaque marché, chaque filière, chaque entreprise va devoir faire face à des conditions nouvelles et potentiellement imprévisibles. Il n’est possible de prévoir ni comment va évoluer la demande ni comment les chaînes logistiques et industrielles vont pouvoir y répondre, contraintes par la réglementation et la capacité à se réorganiser sur l’ensemble d’une filière. Il est en revanche possible d’imaginer différents scénarios et de concevoir pour chacun un plan pour s’y adapter. Ainsi le cycle classique de prévision/planification doit laisser place à un exercice de scénarisation. Une telle démarche est possible et réaliste car, in fine, le nombre de scénarios stratégiques pour une entreprise sera limité.

L’objectif est de constituer une boîte à outils directement actionnable à la manière d’un contingency plan. Pour chaque profil d’évolution de l’activité un plan d’adaptation pourra être construit et étudié en avance de phase. Que cette transition soit progressive ou brutale, que la demande revienne à son niveau pré‑crise, qu’elle n’y revienne jamais ou au contraire le dépasse, que des goulots freinent la capacité de la filière à générer l’offre adéquate ou que les stocks abondent, les principales questions auxquelles il va falloir répondre peuvent être identifiées et étudiées avant qu’elles ne se posent.

Nous préconisons également de construire et d’étudier dans le détail le scénario worst-case pour l’entreprise afin de parer à toute éventualité (marché sinistré, pénurie de cash, difficultés opérationnelles drastiques).

2. Collaborer

Plus important encore que la collaboration interne, l’anticipation permise par la formalisation de scénarios devra être partagée avec les clients, les fournisseurs, sous‑traitants et autres partenaires.

L’identification des ressources critiques et la recherche de solutions ne seront efficaces que partagées avec l’ensemble de la chaîne industrielle, logistique et commerciale. Le pire, pour une filière, serait une reprise non‑concertée où des acteurs interdépendants opteraient pour des stratégies de redémarrage incompatibles. Des règles peuvent être édictées et des engagements peuvent être pris pour se garantir des à-coups et des enchaînements destructeurs de valeur. À l’inverse, la mise en évidence des scénarios favorables à l’ensemble de la chaîne, voire l’identification des opportunités que peuvent receler cette crise peuvent naître d’un effort de collaboration plus ambitieux que ce que requiert le « business as usual ».

3. Piloter

Sur ces bases il sera possible de mettre en place une cellule de pilotage de sortie de crise qui cherchera en permanence à se situer par rapport aux scénarios pré‑définis et à activer les leviers identifiés en amont.

Le travail réalisé précédemment aura permis de tracer les contours du possible, ainsi que le coût et les conditions de mise en oeuvre de chacun de ces leviers, permettant une action rapide et efficace. Le cas échéant, cette cellule pourra également identifier l’émergence d’une situation imprévue ou inédite et gagner de précieuses semaines dans la mise en oeuvre des mesures palliatives.

4. Restaurer la confiance des salariés, car rien ne saurait être fait sans leur implication

La nécessité de cohabiter avec le virus, même après le déconfinement est maintenant une certitude. Un scénario de complet retour à la normal à court-moyen terme s’éloigne même chaque jour un peu plus. Quel que soit le profil de reprise de la demande, la capacité à faire revenir les travailleurs dans les centres de production sera l’un des facteurs clefs de succès. Cette nécessité s’est illustrée de manière flagrante dans la très médiatisée fermeture des sites logistiques d’Amazon en France pour 5 jours.
Chacun de nous est, à juste titre, inquiet pour sa santé et sa contribution à la propagation du virus. Au-delà de leurs obligations légales, les entreprises doivent donner des garanties à leurs salariés pour leur assurer que la reprise de l’activité se fera en toute sécurité. Un dialogue avec les salariés et leurs représentants doit donc être maintenu quant aux conditions de reprise de l’activité.

Concrètement, la mise en en place d’un plan sanitaire susceptible de garantir la santé des salariés et des clients est à concevoir dès maintenant : décompactage des espaces de travail, plan de nettoyage renforcé, adaptation des horaires, gestion des lieux de vie (machine à café, cantine, salle de pause), aucune dimension, même la plus triviale a priori, ne doit être négligée.

5. Profiter de la période de crise pour faire avancer les sujets de fond

La sortie de crise va laisser les entreprises avec des situations de trésorerie très affaiblies. Le marché va être encore plus compétitif qu’à l’accoutumée. Certains secteurs, à l’instar de la filière mode et habillement, vont être confrontés à une surabondance de l’offre et à un risque très élevé de guerre des prix. Certaines entreprises ne s’en relèveront pas. En revanche, celles qui auront fait de l’excellence opérationnelle leur maître mot se seront donné le maximum de chance de passer la vague.

La situation actuelle exige des entreprises qu’elles se polarisent sur l’essentiel. L’excellence du management des femmes et des hommes, de la qualité du service client ainsi qu’une parfaite gestion du cash seront autant de conditions de survie dans les mois à venir. Les projets liés au développement durable ne devront pas être négligés car ils resteront indispensables pour répondre à la demande des clients ou à l’évolution de la règlementation.

Une revue des portefeuilles projet apparaît comme une étape essentielle de cette crise. Deux bénéfices sont attendus de ce passage au crible : d’une part la libération de marges de manoeuvre par arrêt des projets non essentiels et d’autre part le renforcement, voire l’accélération, des projets porteurs de performance et de valeur.

Après tout, une situation d’arrêt temporaire de l’activité n’est-elle pas tout ce dont, en temps normal, les managers rêvent pour pouvoir travailler sereinement le fond ?