Pour préparer une équipe
à une rencontre de football,
de rugby ou de tout autre sport
collectif, nul besoin de prévoir
le déroulement du match. Le coach étudie l’adversaire et construit des
schémas tactiques qui pourront être activés
en fonction des événements. Il apprend également
aux membres de l’équipe à se coordonner pour
réagir à la succession de risques et opportunités
qui vont se présenter.
Nous pensons que l’analogie de la situation actuelle
avec la préparation à une rencontre sportive peut
apporter un éclairage intéressant aux managers et
dirigeants d’entreprise.
Dans le contexte actuel, il est, plus encore que
d’ordinaire, difficile de prévoir la suite des événements
sanitaires et économiques. Cette incertitude
exceptionnelle doit être au centre des raisonnements.
Face à un tel constat, le risque est grand de rester figé
en attendant que l’horizon se dégage suffisamment
pour y voir clair. Une fois le coup d’envoi sifflé,
les marges de manœuvre sont réduites et le temps
manque pour échafauder une stratégie. De même
dans cette crise, si la trésorerie s’épuise ou si la
concurrence prend les devants, il sera trop tard pour
modifier le cours des choses.
Le risque est grand de rester
figé en attendant que l’horizon
se dégage suffisamment
pour y voir clair.
Définir un plan de sortie de crise est donc un
exercice indispensable pour restaurer la capacité
d’action. Mais tout miser sur un plan rigide est un pari
risqué. Nous recommandons au contraire d’anticiper
les différentes évolutions possibles et de s’y préparer
par un exercice de scénarisation.
Pour autant, des scénarios imprévus peuvent toujours
émerger. Les entreprises doivent donc rester agiles.
Cette agilité, loin de toute incantation, se prépare tant
au niveau des entreprises que de leurs partenaires,
salariés, fournisseurs ou clients.
Dans cette tribune, nous décrivons une approche
pour permettre aux entreprises qui le peuvent
de se remettre en mouvement au plus vite,
dès les mesures d’urgence mises en place.
Pour ce faire, nous proposons de mettre la santé
et la confiance des salariés et des clients au cœur
de la démarche. Une fois ce cadre posé, nous proposons
de préparer les prochaines phases de jeu en s’appuyant
sur l’élaboration de schémas tactiques d’une part, et sur
un pilotage serré de l’entreprise basé sur une attention
toute particulière à l’évolution des conditions de jeu.
1. Anticiper la sortie de crise par l’établissement de scénarios
Chaque marché, chaque filière, chaque entreprise
va devoir faire face à des conditions nouvelles et
potentiellement imprévisibles. Il n’est possible de
prévoir ni comment va évoluer la demande ni comment
les chaînes logistiques et industrielles vont pouvoir y
répondre, contraintes par la réglementation et la capacité
à se réorganiser sur l’ensemble d’une filière. Il est en
revanche possible d’imaginer différents scénarios et
de concevoir pour chacun un plan pour s’y adapter.
Ainsi le cycle classique de prévision/planification doit
laisser place à un exercice de scénarisation. Une telle
démarche est possible et réaliste car, in fine, le nombre
de scénarios stratégiques pour une entreprise sera limité.
L’objectif est de constituer une boîte à outils directement
actionnable à la manière d’un contingency plan.
Pour chaque profil d’évolution de l’activité un plan
d’adaptation pourra être construit et étudié en avance
de phase. Que cette transition soit progressive ou
brutale, que la demande revienne à son niveau
pré‑crise, qu’elle n’y revienne jamais ou au contraire
le dépasse, que des goulots freinent la capacité de
la filière à générer l’offre adéquate ou que les stocks
abondent, les principales questions auxquelles
il va falloir répondre peuvent être identifiées et étudiées
avant qu’elles ne se posent.
Nous préconisons également de construire et d’étudier
dans le détail le scénario worst-case pour l’entreprise
afin de parer à toute éventualité (marché sinistré,
pénurie de cash, difficultés opérationnelles drastiques).
2. Collaborer
Plus important encore que la collaboration interne,
l’anticipation permise par la formalisation de
scénarios devra être partagée avec les clients,
les fournisseurs, sous‑traitants et autres partenaires.
L’identification des ressources critiques
et la recherche de solutions ne seront efficaces
que partagées avec l’ensemble de la chaîne
industrielle, logistique et commerciale.
Le pire, pour une filière, serait une reprise non‑concertée
où des acteurs interdépendants opteraient pour des
stratégies de redémarrage incompatibles. Des règles
peuvent être édictées et des engagements peuvent être
pris pour se garantir des à-coups et des enchaînements
destructeurs de valeur. À l’inverse, la mise en
évidence des scénarios favorables à l’ensemble
de la chaîne, voire l’identification des opportunités que
peuvent receler cette crise peuvent naître d’un effort
de collaboration plus ambitieux que ce que requiert
le « business as usual ».
3. Piloter
Sur ces bases il sera possible
de mettre en place une
cellule de pilotage de sortie
de crise qui cherchera en
permanence à se situer
par rapport aux scénarios
pré‑définis et à activer les
leviers identifiés en amont.
Le travail réalisé précédemment aura permis
de tracer les contours du possible, ainsi que le coût
et les conditions de mise en oeuvre de chacun
de ces leviers, permettant une action rapide et efficace.
Le cas échéant, cette cellule pourra également identifier
l’émergence d’une situation imprévue ou inédite
et gagner de précieuses semaines dans la mise
en oeuvre des mesures palliatives.
4. Restaurer
la confiance
des salariés,
car rien ne saurait
être fait sans
leur implication
La nécessité de cohabiter avec le virus, même
après le déconfinement est maintenant une
certitude. Un scénario de complet retour à la normal
à court-moyen terme s’éloigne même chaque jour
un peu plus.
Quel que soit le profil de reprise de la demande,
la capacité à faire revenir les travailleurs dans les centres
de production sera l’un des facteurs clefs de succès.
Cette nécessité s’est illustrée de manière flagrante
dans la très médiatisée fermeture des sites logistiques
d’Amazon en France pour 5 jours.
Chacun de nous est, à juste titre, inquiet pour sa santé
et sa contribution à la propagation du virus. Au-delà
de leurs obligations légales, les entreprises doivent
donner des garanties à leurs salariés pour leur assurer
que la reprise de l’activité se fera en toute sécurité.
Un dialogue avec les salariés et leurs représentants
doit donc être maintenu quant aux conditions
de reprise de l’activité.
Concrètement, la mise en en place d’un plan
sanitaire susceptible de garantir la santé des
salariés et des clients est à concevoir dès
maintenant : décompactage des espaces de travail,
plan de nettoyage renforcé, adaptation des horaires,
gestion des lieux de vie (machine à café, cantine,
salle de pause), aucune dimension, même la plus
triviale a priori, ne doit être négligée.
5. Profiter de la
période de crise
pour faire avancer
les sujets de fond
La sortie de crise va laisser les entreprises
avec des situations de trésorerie très affaiblies.
Le marché va être encore plus compétitif
qu’à l’accoutumée. Certains secteurs, à l’instar
de la filière mode et habillement, vont être confrontés
à une surabondance de l’offre et à un risque très
élevé de guerre des prix. Certaines entreprises ne
s’en relèveront pas. En revanche, celles qui auront fait
de l’excellence opérationnelle leur maître mot se seront
donné le maximum de chance de passer la vague.
La situation actuelle exige des entreprises
qu’elles se polarisent sur l’essentiel. L’excellence
du management des femmes et des hommes,
de la qualité du service client ainsi qu’une parfaite
gestion du cash seront autant de conditions
de survie dans les mois à venir. Les projets
liés au développement durable ne devront
pas être négligés car ils resteront indispensables
pour répondre à la demande des clients
ou à l’évolution de la règlementation.
Une revue des portefeuilles projet apparaît
comme une étape essentielle de cette crise.
Deux bénéfices sont attendus de ce passage
au crible : d’une part la libération de marges
de manoeuvre par arrêt des projets non essentiels
et d’autre part le renforcement, voire l’accélération,
des projets porteurs de performance et de valeur.
Après tout, une situation d’arrêt temporaire
de l’activité n’est-elle pas tout ce dont, en temps
normal, les managers rêvent pour pouvoir travailler
sereinement le fond ?